Message du Père Jean-Marie Onfray responsable national de la Pastorale de la Santé

« Je vais la conduire au désert et je parlerai à son cœur ». Cette belle invitation que l’on trouve dans la livre d’Osée donne habituellement sens à ce temps de Carême qui précède Pâques. Prendre du recul (un peu) pour vivre un silence intérieur susceptible de valoriser notre boussole spirituelle. Temps privilégié pour se laisser convertir, se laisser réconcilier. Nous risquions, une fois de plus de laisser passer l’occasion et nous voilà en résidence surveillée …chez nous !

Et l’impensable est survenu ! Un virus venu de loin et pourtant tellement proche … La revanche du grain de sable qui grippe toute la machine universelle. Tout s’arrête …ou presque tout, car la vie continue et l’armée des « invisibles » le sait bien ! Ils prennent des risques quotidiens pour subvenir à nos besoins et nous rendre service.

Nous sommes gagnés par une peur légitime. Mais la peur ( je ne parle pas de la panique !) nous montre les limites de la force, la portée de l’audace. Elle nous rappelle quelles lois nous ne pouvons violer, ce qui n’est pas permis, quelle frontière est sacrée. Elle rend évident le mystère du monde. Comme la mer, elle sait nous rappeler que certaines choses nous dépassent.

Nous courrions à la superficie de nos vies, sans prendre le temps de revenir à l’essentiel, tellement préoccupés par les urgences… et nous nous retrouvons, confinés, tournant en rond… prenant la mesure de ce qui a du « prix » au cœur de nos existences. Certains ressentent même la pertinence d’une conversion de leur mode de vie, de valoriser d’autres priorités.

Confinés, nous découvrons ce que vivent bien des personnes (malades, handicapées, très âgées, prisonnières…) qui sont habituellement privées de cette liberté de bouger, de voyager, de multiplier les expériences. Dans la solitude subie elles n’ont plus que les rêves pour s’évader. Et le confinement redouble cette solitude en interdisant pour des raisons sanitaires les visites. Allons-nous prendre conscience qu’elles ne peuvent vivre sans nous ?

Ce confinement manifeste l’inégalités de nos conditions d’existence entre ceux qui ont une maison et ceux qui doivent se supporter dans un appartement en ville (et ceux qui n’ont pas de toit !). L’inégalité est plus flagrante dans la mission nouvelle confiée aux parents de soutenir le travail de leurs enfants. Mais les inégalités se vivent aussi dans le rapport à la parole, la capacité de verbaliser les sentiments, la force de relativiser certaines informations dont nous sommes abreuvés !

Cette crise sanitaire sans précédent nous fait prendre conscience de l’importance du monde de la santé. Souvenons-nous de tous ces professionnels en grève, pendant des mois, qui ne pouvaient faire entendre leurs souffrances devant les injonctions contradictoires : toujours plus avec moins de moyens ! Nous en faisons aujourd’hui des « héros »… Puissions-nous découvrir leur continuelle disponibilité, en particulier lorsqu’ils prennent soin de nos corps, en toutes circonstances !

Nous nous pensions autonomes et forts (souvenons-nous de la manière dont nous parlions des personnes dépendantes !), et nous prenons conscience de notre fragilité qu’il faut apprivoiser. La fragilité n’est pas une fin qu’il faudrait désirer, mais elle est une réalité avec laquelle nous devons travailler. Sa reconnaissance est aussi la condition pour respecter la fragilité de l’autre pour ne pas entrer dans des relations perverses d’emprise et de domination.

« Restez chez vous »… l’injonction, qui nous est faite, rejoint l’invitation évangélique à se retirer dans le secret de sa chambre. Mais il est plus facile de fermer sa porte que de faire ce chemin vers son cœur (sans doute le plus beau des pèlerinages !). Comment ne pas souhaiter à chacun de le vivre pleinement cette année. « Demain, ne sera plus comme avant » : à condition que nous nous convertissions et que nous nous laissions habiter par Celui qui est « le Chemin, la Vérité et la Vie » et qui veut faire sa demeure en nous.

Ce temps d’épreuve pourra conduire certains à s’éloigner d’un Dieu qui ne nous protège pas au quotidien de l’adversité. Mais, je sais que le silence est aussi l’espace où Dieu peut se dire, dans la fragilité d’un léger souffle, d’une brise salutaire qui nous bouscule et nous libère. Nous allons vivre les « jours saints » de manière bien particulière, dans une communion invisible. Une part de la dimension religieuse et de réunir, de relier … ce temps peut en redire l’urgence !

 

Jean Marie ONFRAY        Tours, ce 28 mars 2020