La réponse est « oui », mais il faut préciser.
Distinguons d’abord le pardon de l’excuse.
« Je vous prie de m’excuser » sous-entend que nous pouvons justifier que notre acte n’était pas mal intentionné. Dès lors la personne qui a subi le tort, est tenue, en toute justice, de nous excuser.
Si l’excuse concerne uniquement les actes que l’on peut justifier, il ne reste que le pardon pour dépasser les actes injustifiables.
Il est clair que nous ne sommes plus dans l’ordre de la justice au sens où nous l’entendons habituellement (à savoir : rendre à chacun ce qui lui est dû), mais dans l’ordre de la pure gratuité, puisque je n’ai aucune obligation de pardonner un acte injustifiable.
Cette pure gratuité est précisément ce qui caractérise l’ordre de la charité surnaturelle.
Lorsque Jésus nous invite à aimer nos ennemis, il nous commande d’aimer ceux qui nous font du tort, et donc ne nous rendent pas notre amour. Cet amour que nous sommes supposés leur donner est dès lors totalement gratuit. Le pardon, qui nous fait pardonner gratuitement une faute injustifiable, est du même ordre.
En sommes-nous capables ?
Les philosophes nous répondent par la négative. Aristote déjà considérait que l’amour d’amitié ne subsiste que lorsqu’il est réciproque, et qu’il cesse dès que l’un des partenaires ne rend pas l’amour dont il est bénéficiaire. Autrement dit, nous sommes naturellement incapables d’une telle gratuité.
C’est bien pourquoi Jésus précise que c’est en raison de notre filiation divine dans l’Esprit Saint qu’il peut nous commander d’aimer nos ennemis et de pardonner à ceux qui nous ont offensés : « Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 44-48).
Si le chrétien est « né d’eau et d’Esprit » (Jn 3,5), son comportement devrait se caractériser par la gratuité de l’amour, qui s’exprime dans le pardon et l’amour de l’ennemi.